Mahmoud ali youssouf ministre des affaires etrangères « le gouvernement entretient des relations équilibrées avec tous ses partenaires »
Coopération avec la Chine, regain de tension en Somalie, rapprochement avec la France, le chef de la diplomatie revient sur les enjeux auxquels fait face son pays.
Alors que les grandes puissances de la planète se bousculent pour disposer leurs troupes au bord de la mer Rouge, la Corne de l’Afrique reste cette région troublée par les crises successives qui secouent l’Erythrée, l’Ethiopie, la Somalie ou le Yémen. Malgré sa taille mais grâce à sa stabilité, Djibouti joue un rôle majeur dans l’équilibre géostratégique de la région. En poste depuis 2005, Mahmoud Ali Youssouf connaît bien les grands enjeux diplomatiques auxquels son pays doit faire face. Il revient sur les événements qui ont agité l’année 2017, à commencer par l’implantation de la première base militaire chinoise.
JEUNE AFRIQUE : Plusieurs chancelleries estiment que la méfiance règne dans les milieux diplomatiques depuis l’ouverture de la base chinoise. Qu’en pensez-vous ?
MAHMOUD ALI YOUSSOUF : Cette méfiance n’est pas ressentie par les Djiboutiens. Les relations de partenariat stratégique tissées par Djibouti avec la Chine sont exemptes de toute suspicion. Et leurs objectifs restent les mêmes que pour les puissances : la lutte contre le terrorisme et la sécurisation de la voie maritime de Bab al-Mandab. Qu’il existe des conflits d’intérêts entre ces pays dans d’autres régions du monde ne signifie pas qu’ils doivent s’appliquer à Djibouti. Le gouvernement entretient des relations équilibrées avec tous ses partenaires.
L’arrivée de cette base a-t-elle eu un impact sur vos relations avec la Chine ?
Elle les a consolidées. Nous avons franchi un palier qui sera bénéfique pour la République de Djibouti, où Pékin a déjà beaucoup investi.
La venue prochaine du nouvel ambassadeur des Etats-Unis devrait redonner un peu de poids à la diplomatie américaine à Djibouti et dans la région. C’est également votre avis ?
Le nouvel ambassadeur devrait en effet prendre ses fonctions début janvier. Cela fait bientôt un an que les Etats-Unis sont représentés à Djibouti par un chargé d’affaires. Or il est toujours préférable d’avoir un ambassadeur à la tête de la chancellerie, car il a une marge de manœuvre plus importante.
L’année a également été marquée par une nouvelle incursion des troupes érythréennes dans le nord du pays, à la suite du retrait de l’armée qatarie. Quelle est la situation aujourd’hui ?
Les Erythréens se sont retirés au bout de quelques heures, et il n’y a pas eu d’escalade à la frontière. Il n’est donc pas prévu, pour l’instant, d’envoyer un nouveau contingent – notamment chinois, comme le dit la rumeur. Aucune troupe érythréenne n’occupe aujourd’hui le territoire djiboutien, mais la frontière n’est toujours pas démarquée et reste une source de tension. Nous travaillons sur la question avec l’Union africaine, et si l’Erythrée persiste dan son refus de collaborer, nous enverrons notre dossier devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
Quelles sont les conséquences pour Djibouti du regain de tension en Somalie, où vous disposez de 2 000 hommes dans le cadre de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) ?
Nous sommes très vigilants car nous restons une cible privilégiée pour les Shebab, du fait que nous abritons une large communauté européenne en plus des forces étrangères. Le regain d’activité des Shebab démontre, selon moi, un mouvement de panique devant le plan mis en place par le président Farmajo pour les déloger de leurs derniers bastions. L’Amisom, dont le commandement est assuré par Djibouti, continuera de soutenir les institutions somaliennes dans cette lutte. Il vaut mieux contenir le terrorisme que l’attendre chez soi. L’Objectif, pour Djibouti, est de le combattre là où il se trouve.
Les Emirats arabes unies ont annoncé, cette année, le développement du port de Berbera, après avoir pris position en Erythrée. Comment évoluent vos rapports ?
Nos relations se sont complètement normalisées, et je dirais qu’il n’existe plus de tension palpable entre les deux pays. Le chargé d’affaires de la représentation des Emirats à Djibouti est revenu, et notre ambassade fonctionne normalement à Abou Dhabi. Quant au fait qu’ils s’implantent dans les autres ports de la sous-région, cela ne nous inquiète vraiment pas car nous sommes désormais bien outillés pour faire face à la concurrence.
Le pays a reçu, début octobre, le président indien, Ram Nath Kovind. C’est la première visite officielle d’un chef d’Etat indien à Djibouti. Est-ce un rééquilibrage de vos relations diplomatiques, vis-à-vis de la Chine notamment ?
L’Inde veut démarrer avec Djibouti des relations stratégiques et un partenariat qui soient à la hauteur de ses ambitions sur la scène internationale. Elle entend jouer un rôle économique dans la Corne de l’Afrique et a choisi notre pays pour être sa porte d’entrée sur le continent. Une ambassade va d’ailleurs ouvrir ses portes à Djibouti en 2018.
Et la France ? Peut-on parler d’un effet Macron à Djibouti ?
La visite du président Guelleh en février à Paris a permis de resserrer nos liens. Nous allons maintenant travailler ensemble, avec la nouvelle équipe, pour continuer à aller de l’avant. Et c’est pour cette raison que j’ai été reçu à Paris fin septembre par les conseillers Afrique du président Macron. Les relations avec la France sont au beau fixe. Peut-être les deux présidents pourront-ils en parler lors du sommet Union africaine – Union européenne (UA-UE) d’Abidjan. Nous y travaillons.
L’Inde a choisi notre pays pour être sa porte d’entrée sur le continent.
Propos recueillis à Djibouti par OLIVIER CASLIN
Somalie ou le risque sans frontières
L’attentat qui a causé la mort de 358 personnes, le 14 octobre à Mogadiscio, a provoqué une onde de choc à Djibouti. Dès le lendemain, le pays a envoyé un avion transportant 29 médecins ainsi que 4 tonnes de matériel de premiers secours et de médicaments sur place. Les Djiboutiens ont été les premiers, avec les Turcs, à réagir.
Sur le plan de la sécurité intérieure aussi. Encore marquées par l’attaque perpétrée en 2014 par les Shebab au cœur de la ville de Djibouti, les autorités n’osent pas imaginer les dégâts que pourrait causer un camion bourré de 2 tonnes d’explosifs, comme cela a été le cas dans la capitale somalienne. Ils ont donc interdit à tous les véhicules provenant du Somaliland d’entrer sur leur territoire. Les poids lourds doivent décharger leurs marchandises à la frontière côté somalien, où celles-ci sont récupérées pour être acheminées à Djibouti. Par sa proximité géographique et culturelle – et au nom d’une fraternité issa pour une partie de la population, dont le président – la petite République est toujours très concernée par les événements qui viennent troubler son voisin. « La stabilisation de la Somalie est essentielle pour Djibouti », assure un conseiller du chef de l’Etat. Un tiers de l’armée djiboutienne, soit près de 2 000 hommes, campe aujourd’hui de l’autre côté de la frontière, dans le cadre de la Mission de l’Union africaine pour la Somalie (Amisom), dont elle assure le commandement depuis 2016. Et contrairement aux autres contingents étrangers, «elle n’a jamais subi d’action armée de grande envergure », rappelle un observateur. Son rôle a été souligné lors de la visite à Djibouti du président somalien, Mohamed Abdullahi Mohamed dit Farmajo le 24 octobre.
Cette présence n’empêche cependant pas Djibouti de sentir un danger « de l’intérieur ». Les autorités craignent des infiltrations de terroristes au milieu des réfugiés et des clandestins qui s’entassent dans le bidonville de Bouldouqo, situé aux portes de la capitale, à une quinzaine de kilomètres seulement du Somaliland.
Le gouvernement tente de garder le contrôle en « décasant » certains de ses habitants, avec la promesse de mieux reloger ceux qui seront autorisés à rester. Solidarité bien ordonnée…
O.C.
Les autorités craignent des infiltrations de terroristes au milieu des réfugiés.
Coopération avec la Chine, regain de tension en Somalie, rapprochement avec la France, le chef de la diplomatie revient sur les enjeux auxquels fait face son pays.
Alors que les grandes puissances de la planète se bousculent pour disposer leurs troupes au bord de la mer Rouge, la Corne de l’Afrique reste cette région troublée par les crises successives qui secouent l’Erythrée, l’Ethiopie, la Somalie ou le Yémen. Malgré sa taille mais grâce à sa stabilité, Djibouti joue un rôle majeur dans l’équilibre géostratégique de la région. En poste depuis 2005, Mahmoud Ali Youssouf connaît bien les grands enjeux diplomatiques auxquels son pays doit faire face. Il revient sur les événements qui ont agité l’année 2017, à commencer par l’implantation de la première base militaire chinoise.
JEUNE AFRIQUE : Plusieurs chancelleries estiment que la méfiance règne dans les milieux diplomatiques depuis l’ouverture de la base chinoise. Qu’en pensez-vous ?
MAHMOUD ALI YOUSSOUF : Cette méfiance n’est pas ressentie par les Djiboutiens. Les relations de partenariat stratégique tissées par Djibouti avec la Chine sont exemptes de toute suspicion. Et leurs objectifs restent les mêmes que pour les puissances : la lutte contre le terrorisme et la sécurisation de la voie maritime de Bab al-Mandab. Qu’il existe des conflits d’intérêts entre ces pays dans d’autres régions du monde ne signifie pas qu’ils doivent s’appliquer à Djibouti. Le gouvernement entretient des relations équilibrées avec tous ses partenaires.
L’arrivée de cette base a-t-elle eu un impact sur vos relations avec la Chine ?
Elle les a consolidées. Nous avons franchi un palier qui sera bénéfique pour la République de Djibouti, où Pékin a déjà beaucoup investi.
La venue prochaine du nouvel ambassadeur des Etats-Unis devrait redonner un peu de poids à la diplomatie américaine à Djibouti et dans la région. C’est également votre avis ?
Le nouvel ambassadeur devrait en effet prendre ses fonctions début janvier. Cela fait bientôt un an que les Etats-Unis sont représentés à Djibouti par un chargé d’affaires. Or il est toujours préférable d’avoir un ambassadeur à la tête de la chancellerie, car il a une marge de manœuvre plus importante.
L’année a également été marquée par une nouvelle incursion des troupes érythréennes dans le nord du pays, à la suite du retrait de l’armée qatarie. Quelle est la situation aujourd’hui ?
Les Erythréens se sont retirés au bout de quelques heures, et il n’y a pas eu d’escalade à la frontière. Il n’est donc pas prévu, pour l’instant, d’envoyer un nouveau contingent – notamment chinois, comme le dit la rumeur. Aucune troupe érythréenne n’occupe aujourd’hui le territoire djiboutien, mais la frontière n’est toujours pas démarquée et reste une source de tension. Nous travaillons sur la question avec l’Union africaine, et si l’Erythrée persiste dan son refus de collaborer, nous enverrons notre dossier devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
Quelles sont les conséquences pour Djibouti du regain de tension en Somalie, où vous disposez de 2 000 hommes dans le cadre de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) ?
Nous sommes très vigilants car nous restons une cible privilégiée pour les Shebab, du fait que nous abritons une large communauté européenne en plus des forces étrangères. Le regain d’activité des Shebab démontre, selon moi, un mouvement de panique devant le plan mis en place par le président Farmajo pour les déloger de leurs derniers bastions. L’Amisom, dont le commandement est assuré par Djibouti, continuera de soutenir les institutions somaliennes dans cette lutte. Il vaut mieux contenir le terrorisme que l’attendre chez soi. L’Objectif, pour Djibouti, est de le combattre là où il se trouve.
Les Emirats arabes unies ont annoncé, cette année, le développement du port de Berbera, après avoir pris position en Erythrée. Comment évoluent vos rapports ?
Nos relations se sont complètement normalisées, et je dirais qu’il n’existe plus de tension palpable entre les deux pays. Le chargé d’affaires de la représentation des Emirats à Djibouti est revenu, et notre ambassade fonctionne normalement à Abou Dhabi. Quant au fait qu’ils s’implantent dans les autres ports de la sous-région, cela ne nous inquiète vraiment pas car nous sommes désormais bien outillés pour faire face à la concurrence.
Le pays a reçu, début octobre, le président indien, Ram Nath Kovind. C’est la première visite officielle d’un chef d’Etat indien à Djibouti. Est-ce un rééquilibrage de vos relations diplomatiques, vis-à-vis de la Chine notamment ?
L’Inde veut démarrer avec Djibouti des relations stratégiques et un partenariat qui soient à la hauteur de ses ambitions sur la scène internationale. Elle entend jouer un rôle économique dans la Corne de l’Afrique et a choisi notre pays pour être sa porte d’entrée sur le continent. Une ambassade va d’ailleurs ouvrir ses portes à Djibouti en 2018.
Et la France ? Peut-on parler d’un effet Macron à Djibouti ?
La visite du président Guelleh en février à Paris a permis de resserrer nos liens. Nous allons maintenant travailler ensemble, avec la nouvelle équipe, pour continuer à aller de l’avant. Et c’est pour cette raison que j’ai été reçu à Paris fin septembre par les conseillers Afrique du président Macron. Les relations avec la France sont au beau fixe. Peut-être les deux présidents pourront-ils en parler lors du sommet Union africaine – Union européenne (UA-UE) d’Abidjan. Nous y travaillons.
L’Inde a choisi notre pays pour être sa porte d’entrée sur le continent.
Propos recueillis à Djibouti par OLIVIER CASLIN
Somalie ou le risque sans frontières
L’attentat qui a causé la mort de 358 personnes, le 14 octobre à Mogadiscio, a provoqué une onde de choc à Djibouti. Dès le lendemain, le pays a envoyé un avion transportant 29 médecins ainsi que 4 tonnes de matériel de premiers secours et de médicaments sur place. Les Djiboutiens ont été les premiers, avec les Turcs, à réagir.
Sur le plan de la sécurité intérieure aussi. Encore marquées par l’attaque perpétrée en 2014 par les Shebab au cœur de la ville de Djibouti, les autorités n’osent pas imaginer les dégâts que pourrait causer un camion bourré de 2 tonnes d’explosifs, comme cela a été le cas dans la capitale somalienne. Ils ont donc interdit à tous les véhicules provenant du Somaliland d’entrer sur leur territoire. Les poids lourds doivent décharger leurs marchandises à la frontière côté somalien, où celles-ci sont récupérées pour être acheminées à Djibouti. Par sa proximité géographique et culturelle – et au nom d’une fraternité issa pour une partie de la population, dont le président – la petite République est toujours très concernée par les événements qui viennent troubler son voisin. « La stabilisation de la Somalie est essentielle pour Djibouti », assure un conseiller du chef de l’Etat. Un tiers de l’armée djiboutienne, soit près de 2 000 hommes, campe aujourd’hui de l’autre côté de la frontière, dans le cadre de la Mission de l’Union africaine pour la Somalie (Amisom), dont elle assure le commandement depuis 2016. Et contrairement aux autres contingents étrangers, «elle n’a jamais subi d’action armée de grande envergure », rappelle un observateur. Son rôle a été souligné lors de la visite à Djibouti du président somalien, Mohamed Abdullahi Mohamed dit Farmajo le 24 octobre.
Cette présence n’empêche cependant pas Djibouti de sentir un danger « de l’intérieur ». Les autorités craignent des infiltrations de terroristes au milieu des réfugiés et des clandestins qui s’entassent dans le bidonville de Bouldouqo, situé aux portes de la capitale, à une quinzaine de kilomètres seulement du Somaliland.
Le gouvernement tente de garder le contrôle en « décasant » certains de ses habitants, avec la promesse de mieux reloger ceux qui seront autorisés à rester. Solidarité bien ordonnée…
O.C.
Les autorités craignent des infiltrations de terroristes au milieu des réfugiés.